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Putes et saintes, femmes nous sommes



J'ai le goût aujourd'hui de vous repartager ce texte, né d’une conversation avec un ami il y a déjà trois ans. Un ami qui, je le sentais, me mettait sur un piédestal sanctifié, auréole comprise : celui de la madone, de la sainte. Quelque chose en moi a brûlé. À demi par provocation, à demi par respect pour qui je suis vraiment dans toute la complexité de mon être-personnalité, je lui ai raconté un épisode de ma vie pas folichon, de quoi boueusement ternir l’image vierge qu’il se faisait de moi. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas une sainte, bordel ;-) ! Ou plutôt, je ne suis pas seulement une sainte.


Je suis une « sainte », et une « pute », la madone et Marie-Madeleine.


De mon adolescence à la 20aine, j’ai bien plus souvent été vue comme « pute » que « sainte ». J’attirais des hommes en recherche de légèreté, de jeu et de joie, attirés peut-être par mon espièglerie assumée et cette façon qui était mienne à l’époque d’envoyer toutes les conventions balader. S’approchaient aussi des hommes qui avaient déjà trouvé leur « madone », madone qui appartenait à un univers sacro-saint auquel je n’aurais jamais accès, moi qui satisfaisais cette autre partie d’eux, cette soif d’aventure et de plaisir délié. Et pourtant, sous mes airs d’heureuse iconoclaste, j’aspirais moi aussi à plus de profondeur, de douceur, d’ancrage et de vérité. Mais voilà, j’étais la « pute », il m’était donc prié de rester à ma place, et de gaiement l’occuper.


Et puis j’ai rencontré celui qui, je l’ai tout de suite senti, serait le fameux « homme de ma vie », concept dont je me suis pourtant moquée pendant des années. Entre nous, quelque chose de vrai existait, palpable, vibrant, je me sentais plus vivante que jamais… et j’ai été prise d’une peur vertigineuse. Lui qui me semblait si droit dans ses bottes, traçant sa route comme un chêne bien ancré dans la force de son intégrité, il allait bien vite de rendre compte que je n’étais pas assez vertueuse, et notre relation allait voler en éclats avant même de s’être déployée.


Alors, aidée par une amie petite-fée :) , je suis allée voir un thérapeute. « Monsieur, guérissez-moi de mes conneries, c’est trop important ». Il m’a longuement écouté.


Puis il m’a fait un puissant cadeau « Mademoiselle, pensez-vous vraiment que cet homme merveilleux que vous décrivez est tombé amoureux d’une image de sainte vertueuse ? Ou est-il tombé amoureux de vous ? ». Baffe.


Vouloir me couper de moi-même, c’était décider de façon arbitraire (et violente) ce qui en moi était bon et désirable pour l’autre, et ce qui était sale et à proscrire. Sans même demander l’avis de celui pour qui je pensais le faire ! Pourtant, fort de toute son intelligence de cœur, de corps et de tête, l’homme qui est aujourd’hui mon mari était tombé amoureux de tout-moi. Et au fond, quelque part, il savait.


Une petite dizaine d’années plus tard, je fais la rencontre avec ma madone incarnée : je deviens Maman :) . Soudain je comprends dans ma chair pourquoi c’est sur cet archétype intégré que repose notre société. S’ouvre en moi une manne insoupçonnée de courage, de force, un lac sans fond dont la tranquillité à toute épreuve m’émerveille et m’émeut. Je suis celle qui tient l’espace, qui continue à bercer mon bébé avec calme et sérénité alors qu’il hurle à s’étrangler. Celle qui caresse l’homme éreinté tout en tenant la main dudit bébé qui, un an et demi après sa naissance, ne dort toujours pas une nuit d’affilée. Celle qui EST amour inconditionnel, dont la puissante fontaine coule sans jamais s’épuiser.


La joie de cette fontaine est telle que je comprends profondément les femmes qui choisissent le rôle de madone comme leur vêtement principal d’identité. Mais chez moi, bien vite, la folle fougue et l’espiègle plaisir ont crié leur besoin d’exister. AUSSI. A côté et avec la madone, point pour la supplanter mais pour la soutenir, l’alléger, puis parce qu’il est si bon de jouer :) !


Si j’écris ceci aujourd’hui, c’est parce qu’il m’a été soufflé depuis l’intérieur que nous étions nombreuses à vivre cette dichotomie comme une lutte, à internaliser des diktats sociétaux et nous autocensurer, nous coupant d’une partie de nous-mêmes, ou de l’autre. Que ce soit au nom du mariage ou du libertinage, nous avons tendance à nous conformer à ces flics-dans-la-tête (comme dirait Augusto Boal), ces voix internalisées d’une société qui juge, qui classifie, qui range et qui simplifie notre foisonnante et délicieuse féminité.


Et de nombreux hommes aussi sont victimes de leurs propres flics-dans-la-tête, dichotomie entre leur propre « pute » et « sainte » internes, entre l’homme-bon-et-juste, père de famille responsable et aimant de sa madone, et le marin aventurier et filou qu’une fille attend à chaque port. Sans se rendre compte que leur femme, pute et sainte à la fois, est éperdument amoureuse des deux.


Puissions-nous avancer ensemble dans l’intégration de toutes ces parties de nous, invitées au grand jeu de la vie, jeu humain qu’il nous convient de jouer en dansant avec toutes les facettes de nos imparfaites personnalités !


Putes ET Saint(e)s, humains nous sommes.


Célicia Theys, juin 2020.

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